LES DAMNÉS D’IVO VAN HOVE – Au milieu du calvaire, un miracle, le théâtre

Nous sommes en 2017, et j’étais encore lycéen pour encore quelques mois. Grâce aux options que j’avais, comme pour honorer cette fin d’un bon débarras, j’ai eu l’opportunité de faire un voyage à Paris sous les couleurs de l’Art avec un grand A. Une expédition qui n’était pas des moindres pour un lycée siégeant en Provence. C’était doublement une opportunité pour moi, car j’ai eu très peu de voyages scolaires durant ma scolarité. C’était autant dû à des écoles pauvres qu’aux conditions de vie précaires de ma famille.

C’était un voyage rempli de promesses. Moi et ma classe savait depuis 1 an que ce voyage aurait lieu. On avait vraiment hâte.
Avec ce voyage, c’était aussi la première fois que j’allais véritablement à Paris.
Au programme, du grand classique qualitatif avec beaucoup de musées tels que le Louvre ou le musée du Quai Branly.

Malheureusement, ce voyage parisien fut loin d’être le séjour que je m’étais imaginé. Même si je l’ai apparemment bien caché, je me suis retrouvé particulièrement attristé par toute la pauvreté qui m’entourait lorsque nous marchions dans les rues de Paris. La différence entre savoir et voir n’a jamais été aussi vraie qu’à ce moment-là pour moi. J’étais aussi choqué de l’attitude de mes camarades qui avaient l’air de faire comme si cette dernière n’existait pas. Par effet de ricochet, cela a beaucoup remis en question mon rapport que j’avais avec mes amis de l’époque.
A la fin du voyage, lorsque ma mère est venue me récupérer en voiture à la gare d’Avignon, j’ai pleuré toutes les larmes de mon corps. J’étais déçu de Paris, déçu de mes amis* et déçu de la vie. Je pense que ma mère ne m’avait jamais vu pleurer ainsi.
Ce voyage a été une grande leçon de vie pour moi. Je n’étais pas prêt socialement à vivre Paris avec le comportement de mes camarades.

Mais alors, est-ce que je ne retiens donc de ce voyage que des pleurs et une leçon de vie ? Pas réellement. Car au milieu de ce premier contact parisien, il y a eu une rencontre que je chéris de tout mon être : la Comédie-Française.

Généralement, je préfère le matériel de base aux adaptations qui peuvent en découler. Mais punaise, qu’est-ce que ce n’est pas le cas pour l’adaptation théâtrale que nous avons vu ce jour-là. Sans être un film que je trouve mauvais, je n’ai pas spécialement d’appréciation pour Les Damnés de Luchino Visconti. C’est un OK tiers. Par contre, la mise en scène qu’en a fait Ivo van Hove, je la trouve complètement folle. Je trouve que c’est vraiment une adaptation qui surclasse sur tous les points le film de base.
C’est notamment avec ce genre de pièce que tu te dis que le théâtre est capable de te donner des choses que seul lui peut donner.

Je trouve que c’est une pièce qui donne une magie et une singularité que le film n’a pas. C’est une pièce qui me paraît beaucoup plus réaliste que le film tout en nageant paradoxalement dans une myriade de représentations totalement décalée.

La scène de viol des Damnés est ici représentée par une colle noire peinte sur tout le corps du personnage sur laquelle est jetée des plumes. Il n’y a aucune scène de sexe à proprement parler ici, mais on comprend très bien qu’il en s’agit d’une. C’est visuellement saisissant. Cela rend beaucoup plus graphique l’atrocité de la chose. 

En racontant le virage d’une famille se tournant vers le nazisme, Les Damnés revendique un discours bien plus universel. Oui, comme plein plein d’autres. Mais moi ce qui m’intéresse dans Les Damnés, c’est que cette universalité passent par la forme. La grande singularité de la pièce, c’est qu’elle est filmée en direct par des caméras sur scène tandis que les comédiens jouent. Dans la Comédie-Française, il y avait un grand écran qui partageait le flux ainsi que d’autres écrans sur les côtés. Parfois, ce n’est que l’affaire d’une même scène que l’on voit juste sur deux angles différents, parfois, c’est l’occasion de voir aussi ce que la scène de théâtre ne peut pas montrer. Des conversations dans les coulisses, des spectateurs ou alors carrément un personnage qui va dans la rue.

Il y a aussi des moments où ce qui apparaît à l’écran n’est pas en direct. J’y vois beaucoup des raisons pratiques, mais cela crée aussi un décalage temporel avec les moments en direct que je trouve intéressant. Cela rend littéralement intemporelle l’histoire qu’on nous raconte.
Dans cette image également, une autre représentation que j’aime énormément : le meurtre représenté par du liquide couleur sang balancé sur les personnages. 

Très clairement, ce qui m’a plu dans cette adaptation, c’est vraiment sa forme. Elle m’a vraiment fait adhérer à un récit auquel j’étais plutôt insensible de base. La faute aussi à un film qui ne pouvait vraisemblablement pas tout montrer autant pour des raisons de production que d’époque. L’adaptation d’Ivo van Hove me paraît être une version aboutie et libérée de tout ça.

Comme en témoigne aussi l’image de début d’article, cette soirée à la Comédie-Française, c’était aussi la rencontre de Denis Podalydès en chair et en os, autant sur scène qu’à la sortie de la pièce. Par hasard, l’un de mes camarades l’a remarqué entrain de fumer pépouze. De fil en aiguille, et tout gentiment, nous avons pu faire une photo de groupe avec lui et j’ai pu lui serrer la main. Autant vous dire que j’étais refait. Je pense que ça se voit sur la photo (en bas, c’est moi en 2017, et en haut, c’est Denis Podalydès). C’est un comédien que j’aime bien. Même si c’était cocasse de se dire qu’une heure auparavant, je le voyais pour la première fois à poil. 

C’est une pièce qui m’a particulièrement marquée, et qui continue toujours de me suivre avec les années. Je ne suis pas un grand fan du théâtre, mais c’est certain que cette pièce se hisse haut la main dans mes expériences culturelles les plus mémorables. Généralement, lorsqu’on me demande une pièce de théâtre, c’est celle-ci que je donne. Et lorsqu’il s’agit de réfléchir moi-même à de la mise en scène, cette pièce est toujours d’une influence importante. En première année de licence, j’ai même carrément adapté, à mon échelle, la pièce. C’était très fun et cela avait pas mal plu. 

Je ne vais pas souvent au théâtre, je devrais y aller plus souvent. Car quand je vois ce que Les Damnés m’a fait vivre, j’ai envie de pouvoir retrouver un jour ce plaisir si fort et unique capable de créer un miracle au sein d’un voyage bien tumultueux. 


*C’est la perception que j’ai eu de mes amis en sortie de voyage qui a développé cette déception. J’ai compris rapidement que c’était plus compliqué. Il y avait aussi des choses de mon côté que je ne percevais pas. Ce n’est pas un épisode qui a détérioré mes relations de l’époque. Si c’est un sentiment qui caractérise bien pour moi ce voyage, celui-ci ne s’est jamais échappé de ce dernier.

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