CONSOMMATION CULTURELLE DÉHIÉRARCHISÉE
Je dédie très concrètement ma vie à la consommation culturelle. C’est à un degré où beaucoup de choses de la vie m’apparaissent très abstraites ou très floues. Il ne va pas toujours être facile pour moi de parler avec quelqu’un d’autre chose que d’un livre, d’un jeu ou encore d’un film. Parfois, le reste va avoir tendance à m’ennuyer.
D’un autre côté, il n’est pas toujours facile aussi pour moi de parler de consommation culturelle car j’ai constaté que ma consommation avait souvent un décalage. Par exemple, lorsque j’apprends à quelqu’un que j’ai fait des études de cinéma, et que cela éveille chez lui une curiosité, il a tendance à me sortir des noms qui m’échappent complètement. Ce ne sont que rarement des noms très inconnus, au contraire, c’est même plutôt l’inverse. Et c’est quelque chose que je peux appliquer pour n’importe quel autre support de consommation : manga, anime, jeux vidéo… A quand même je consomme assidument un format, le facteur “populaire” ne rentre pas un jeu dans mes choix de consommation. Et, justement, mes envies semblent rarement m’amener à manger des objets très “populaires”.
Ce n’est pas problématique en soi, mais je pense que la popularité est source de rassemblement. C’est ce qui nourrit des racines communes aux gens. Cela me semble être à la base de la formation d’une société, et je pense que c’est important dans une moindre mesure. Je comprends tout à fait pourquoi on parle de culture générale, de “classiques“ et d’objets importants à consommer pour découvrir en premier lieu un format ou un genre. Pourtant, je déroge souvent à cela. Je suis très mauvais en culture générale. Et je mange souvent des objets “mineurs“ sans avoir touché encore à des “classiques“.
Ce n’est pas vraiment délibéré de ma part, je ne dirais même pas que je ne veux pas faire comme tout le monde.
En réfléchissant davantage, il y a peut-être des origines à chercher du côté de mon enfance ? Une enfance plutôt pauvre financièrement, et un déficit de mémoire immédiate qui a tardé à être connu. Je pense avoir mangé ce que je pouvais manger.
Au bout du compte, je retrouve quand même des points où je m’accorde avec les autres. Beaucoup de choses que j’apprécie sont malgré tout réputées et appréciées. Mais ce qui m’a emmené à eux n’est sûrement pas le même chemin que pas mal de gens.
Au-delà de ce que j’ai consommé ou non, je pense que mes envies et mes attentes vont être différentes. J’ai vraiment l’impression d’être plus un électron libre, de manger de tout et d’apprécier plus facilement des choses. Par exemple, j’apprécie des jeux vidéo comme Sonic 2006 ou les derniers Star Ocean alors que les avis majoritaires sur ces derniers sont négatifs. Je vais bien percevoir des choses qui ne fonctionnent pas pour moi dans ces jeux, mais je vais y trouver du plaisir aussi. Peut-être que mes attentes sont basses ? Peut-être que je vois des traces qui me rendent l’expérience plus humaine et intimiste ? J’adore en partie les visual novel pour cela. Le circuit de production des VN, même pour les gros studios, est beaucoup plus court et proche du consommateur.
Ne pas avoir les mêmes goûts que moi ne me dérange nullement, mais je constate que cela m’affecte souvent de voir des gens moins aptes à les accepter. J’ai du mal à comprendre le phénomène. Et cela m’étonne qu’il soit si répandu. Je m’applique en conséquence à avoir des relations où chacun respecte les goûts de l’autre.
Je pense que ce n’est pas si étonnant qu’avec ce rapport de consommation, j’ai aussi éprouvé de l’intérêt pour des démarches décentralisées sur internet. Des démarches sans centres et sans bords. Sur Mastodon, par exemple, je n’ai qu’un flux où je vois mes abonnements dans un ordre décroissant. Il n’y a pas d’algorithme, pas de recommandation, et cela me va très bien. Si je veux partir à la découverte de quelque chose, je veux que ce soit une démarche à part entière de mon côté. J’aime ce plaisir de tracer moi-même ma route. Et je pense qu’en consommant internet de cette façon, cela entraîne inéluctablement une consommation culturelle déhierarchisée.
Je suis plutôt admiratif des gens ayant un hermétisme assez radical en matière d’informations centralisées. Je pense notamment à une personne que j’ai rencontrée récemment sur internet. Celui-ci est sujet à découvrir des objets culturels très populaires de A à Z au détour d’une conversation. Cette conversation sera son unique source. Il ne va pas chercher à en savoir plus. Pour autant, il est sujet à en parler, en livre comme sur internet. Cela a le résultat de donner une parole libérée que j’aime énormément. J’apprécie beaucoup les fanzines Allez jouer dehors pour ça, puisqu’il y a justement une parole qui est très innocente et purgée de ce qui nous entoure. Comme si la rencontre avec un objet se résumait aux expériences intimes qu’on a eues avec.
Je me trouve peu d’occasions de parler de consommation culturelle IRL. Je ne connais pas de gens consommant ce que je consomme. J’ai bien des amis partageant certains de mes centres d’intérêts, et qui ont une vision consommatrice similaire, mais je vais rarement consommer les mêmes choses qu’eux. Parfois, je me demande si cela serait différent si j’habitais au Japon. Mais je me dis rapidement que ça ne serait certainement pas le cas. Parfois, cela m’attriste. Mais généralement, ça va. Mes amis sont compréhensifs et curieux un tant soit peu, et c’est pareil de mon côté.
Je retiens notamment une expérience dont j’ai déjà parlé. Je fais découvrir depuis quelque temps des choses que j’apprécie à un ami. Il y a eu Neon Genesis Evangelion, Digimon Adventure et maintenant Kingdom Hearts. Et de son côté, il m’a fait découvrir dans l’ordre de sortie les films du MCU jusqu’à un certain point, et maintenant il me fait découvrir Misfits. Toutes ces présentations sont montrées de façon à en savoir le moins possible. Nous ne connaissons pas les bandes-annonces, les couvertures, les affiches… Une expérience assez unique où, à l’heure d’internet, il est très difficile d’échapper à des informations. Ne serait-ce que se procurer un livre sur internet peut nous donner des informations qu’on aurait aimé découvrir soi-même. J’adore être porté comme ça par quelqu’un que j’apprécie. Il y a quelque chose de l’ordre d’une expérience totale que je ne pourrais pas avoir si je devais découvrir et consommer seule.
Cela m’emmène à me dire que l’un des facteurs qui joue sur ce que je vais consommer est la quantité d’information que j’ai. Un objet culturel dont j’entends parler de toute part va m’effrayer. Cela suscite un croisement d’informations, d’opinions et de visions consommatrices qui peuvent altérer mon regard sur l’objet. Je préfère vivre calmement mon contact avec un produit avec le moins d’influence possible.
A fortiori, mon rapport à l’actualité est limité. Je consomme rarement ce qui vient de sortir. Je sais qu’il est très apprécié de certains de suivre les saisons d’animes. Cela ne m’a jamais intéressé.
Avec le temps, j’ai de plus en plus construit ma vie pour que mes interactions avec le monde soient davantage dans mon sens de consommation. J’ai maintenant très peu de moments où je suis sujet à en savoir trop à mon goût sur un produit culturel.
Comment je procède ? Quand je n’ai pas encore consommé un produit qui est mentionné par quelqu’un, si je n’ai pas la garantie que son discours ne va pas révéler des choses que je ne veux pas savoir, alors je passe mon chemin. Au quotidien, à la manière dont quelque chose est annoncé, même sur une programmation d’une convention type Japan Expo, il est en fait devenu très facile pour moi de savoir là où je peux aller sans problème. Dans la tête d’Elsental, ce que j’écris se veut justement être un discours qui serait compatible si un autre moi découvrait le site. Et quand je sais que je vais spoiler, l’article commence toujours par un avertissement.
Par ce fait, je suis de moins en moins sujet à savoir si quelque chose est “populaire” quand je rentre un contact avec un produit culturel.
Et dans ce cadre qui m’est saint, je me sens bien plus même à retourner vers ces objets qui m’avaient effrayé fut un temps.
Je sais pas si ce commentaire est pertinent avec ton texte mais ça m’a fait pensé à ça.
je pense qu’il y a une certaine satisfaction à trouver par soi-même un bien culturel. Il y a pour moi un petit sentiment de ‘thrill’ à flâner dans un magasin de jeux vidéo usagés et neufs ou une librairie ou un disquaire et à parcourir les titres des yeux. trouver la bd, le livre, l’album ou le jeu qui vient nous chercher… je sais pas. c’est une manière pour moi de découvrir quand ça arrive que je le fais.
c’est une relation avec le physique qui nous sort un peu du défilement d’un catalogue en ligne (qui n’est pas mal en soi). dans ces cas, je fais peut-être plus d’achats impulsifs.
après, c’est normal de se sentir décalé, j’imagine. je crois que chaque personne a le potentiel d’avoir des goûts pointus dans un certain domaine. on a parfois la chance d’avoir quelqu’un ou un groupe de gens avec qui ce genre de sujet clique vraiment et parfois pas du tout! dans mon entourage très proche, les jeux vidéo, c’est pas un sujet très populaire et je suis content d’avoir d’autres intérêts. auparavant, j’ai repoussé les jeux vidéo pendant plusieurs années jusqu’à ce que je me rende compte que j’aimais encore ça. et petit à petit, de réapprivoiser ce médium que j’ai toujours aimé enfant, etc. ça m’a fait heureusement découvrir d’autres intérêts comme la musique à écouter mais surtout d’en jouer pour en vivre ($), même modestement.
l’Internet a donné un coup de pouce pour les fans de sujets pointus qui peuvent enfin se retrouver! c’est un peu froid parfois, mais la correspondance a son charme.
je pense qu’il est sain de reculer sa chaise d’ordi, se lever un peu et voir ce qu’il y a autour un instant. sortir du cocon confortable et voir qu’est-ce que ça dit en dehors. sortir un peu, même 2 minutes. ça aide à apprécier le retour dans nos passions et montrer aux autres qu’on est toujours en vie, haha.
J’ai souvent constaté que la distance d’internet provoquait chez certains de l’achat compulsif. Je ne saurais dire avec certitude pourquoi cela n’a jamais été le cas pour moi. J’ai souvent aussi entendu parler d’un phénomène chez certains avec la carte bancaire, notamment quand est elle est sans contact. A ce niveau-là, pareil. Peut-être que c’est dû au fait que j’ai toujours vécu avec peu de sous ?
De mon côté, je me demande si je ne suis pas plus compulsif lorsque je suis présent physiquement dans un lieu où on peut acheter des choses ! Une question de bien-être sûrement.
Je te rejoins pour l’idée de sortir, ne serait-ce que 2 minutes. Le premier pas est parfois dur, mais cela fait souvent du bien.
Merci pour ton commentaire ! Je le trouve tout à-propos !